Charles Ponsonailhe en son domaine de Saint Julien (à Pézenas)
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Charles Ponsonailhe (1855-1915)

critique d'art et journaliste


L'Écho de l'Hérault, hebdomadaire paraissant à Pézenas le samedi - 9 octobre 1915, 32e année, n° 41, page 1 [ADH, PAR 589]

Charles PONSONAILHE
Quelque chose de très noble, de très pur, d'infiniment bon vient de s'éteindre avec Charles Ponsonailhe. Sa mort a douloureusement ému tous ceux qui, l'ayant approché de près, avaient lu dans son âme et l'avaient aimé.
Il était de ces êtres élus qui honorent l'humanité et nous consolent de ses verrues. Il le devait à sa haute probité, à la dignité de sa vie, à sa bonté et à son abnégation.
Dans sa grande âme, il n'y avait place pour rien de vulgaire, de bas, pour quel qu'un de ces sentiments si souvent communs aux gens pressés d'arriver en meurtrissant le voisin et de jouir des réalités grossières de l'existence.
De ses lèvres, de sa plume, il ne s'est jamais échappé une critique acerbe, une médisance. Il éprouvait, au contraire, un vrai bonheur à rendre service à autrui, à faciliter les débuts des jeunes dans la carrière des lettres et des arts où lui meme avait trouvé sa voie et acquis une belle réputation.
Fidèle à ses principes religieux, à sa foi monarchique, au point même de leur sacrifier la sécurité de son avenir, il représentait pour son parti une force morale parce qu'il était un exemple.
Il était la distinction même. Elle s'exhalait de toute sa personne, toujours d'une mise irréprochable, de ses gestes d'une tenue réservée, de sa parole d'une élégance que d'aucuns voyaient apprêtée mais qui était vraiment naturelle, de ses écrits d'un style étincelant.
Dans le familier de la vie, il était foncièrement bon. Sa conversation était un charme et aussi un enseignement. Il était, en effet, très instruit et servi par beaucoup de mémoire. On ne se serait jamais fatigué de l'écouter. Il avait toujours tant de choses intéressantes à raconter et il racontait si bien. Il avait vécu toute son existence dans les milieux érudits, dans le monde des écrivains, des artistes vers lequel, dès sa plus tendre jeunesse, le portaient ses goûts et il s'était acquis de fidèles amitiés parmi les célébrités contemporaines.
Il était né gentilhomme, mais il n'y avait point chez lui la distance qui refroidit. Au contraire, son accueil était affable, simple, empreint de cette vonté qui était la caractéristique de tout son être.
Il avait des sentiments chevaleresques qui se manifestaient dans tous ses actes. Ses amis n'avaient point de plus éloquent, de plus dévoué défenseur. Son désintéressement était proverbial. Il préférait connaître les soucis, les embarras d'argent que s'assurer le bien être par des moyens à côtés, trop souvent employés et excusés dans notre société.
Il est certain qu'avec de telles idées et un tel tempérament, Charles Ponsonailhe était insuffisamment armé pour la lutte si ardente qui se livre dans les milieux parisiens. Sa probité scrupuleuse s'accomodait mal des manières de certains clans littéraires où l'écrivain est fatalement entraîné lorsqu'il doit assurer avec sa plume son existence de tous les jours Les confrères, dénués de préjugés et souvent de talent, ont vite fait de supplanter l'homme de lettres qui entend se respecter lui-même en sauvegardant la dignité de ses écrits.
Ainsi Ponsonailhe goûta fréquemment à la coupe des déceptions et des amertumes. On louait sa vertu, on appréciait, sans le dire, sa valeur, mais on refusait de payer, à son prix, sa collaboration.
Son nom, cependant, était connu dans la Presse parisienne et surtout dans les feuilles artistiques. La sûreté de son jugement, sa compétence acquise par de longues et laborieuses études, la pureté et l'élégance de son style lui avaient valu une réputation enviée. Son œuvre d'ailleurs était considérable : on emplirait une bibliothèque avec tous ses écrits,
Après avoir accompli une partie de ses études au Collège de notre ville, il avait soutenu, devant la Faculté de droit de Toulouse, une thèse remarquable de doctorat sur la Propriété artistique.
Inscrit au barreau de Paris, il délaissa la robe d'avocat pour se tourner vers la littérature d'art où ses gouts l'amenaient. Il débuta à l'Artiste que dirigeait alors Arséne Houssaye qui lui confia la rédaction du Salon. Il s'y fit remarquer et acquit une première place dans la rédaction de cette revue où se coudoyaient toutes les célébrités du monde littéraire.
Il écrivit alors un livre magnifique, un véritable monument à la gloire d'une peintre illustre de Montpellier : Sébastien Bourdon, bientôt suivi d'une monographie illustrée sur le statuaire Injalbert. Il collabora ensuite à la Revue de Paris à St-Pétersbourg, au Gaulois, à la Nouvelle Revue, au Correspondant, à la Gazette de France, traitant surtout des sujets historiques ayant quelque relation avec l'art, ou encore étudiant les œuvres artistiques dans leurs rapports avec la littérature et l'histoire. Ce genre, par la suite, lui devint familier et il ne l'abandonna jamais.
Devant une telle érudition parée des grâces de son style, le Ministère des Beaux-Arts fait appel à son concours et lui confie la rédaction de rapports sur les Musées et les collections du département de l'Hérault
Il publie successivement des ouvrages qui consacrent son renom mais lui rapportent plus d'honneur que d'argent, malgré des tirages répétés pendant vingt ans, qui enrichissent ses éditeurs : Les cent chefs-d'œuvre de l'Art Religieux, réédités encore dernièrement à la demande du cardinal Amette, archevêque de Paris, les Saints par les Grands Maîtres, l'Année Française : un héros par jour, écrit avec son cœur d'ardent patriote, Histoire de l'Hôtel de Robert de Cotte, les Gloires de la Monarchie Française, l'Art en Languedoc, Roussillon et Comté de Foix, les Maîtres Français, le Triomphe de la Religion (iconographie chrétienne). Cet énorme labeur ne le distrayait pas de sa collaboration constante aux grands illustrés, aux Revues d'art et d'histoire, aux journaux quotidiens, à l'Illustration, à la Revue Illustrée, etc. Mais c'est l'année de l'Exposition qui vit sa plus grande activité littéraire. La liste de ses études, de ses articles, à cette seule date, serait innombrable.
Peu de temps après, il fondait en collaboration une grande revue militaire : Patria. Elle obtint rapidement un vif succès mais sombra en pleine gloire par la faute de gens qui firent de Ponsonailhe toujours confiant et bon, une victime. Cet évènement devait peser lourdement sur les dernières années de sa vie.
Correspondant à Paris des Sociétés des Beaux-Arts de l'Hérault, il présentait au Congrès annuel depuis plus de vingt ans un Rapport sur une œuvre artistique, un personnage illustre ou ignoré, un monument ou un édifice du département.
C'est dans cette réunion d'écrits importants, publiés en librairie, que l'on retrouve ses études d'un charme si pénétrant, d'un intérêt si grand, quelques unes inspirées par un sujet d'histoire piscénoise, telles les Trois grâces, de Raphaël de l'ancienne collection de notre Henri Reboul, Henri Relin, notre statuaire plébeien et religieux, le tableau de St Roch par Vien, le plus précieux ornement de notre Collégiale et enfin sur Trois édifices piscénois au temps de Molière : le Château de la Grange des Prés, l'Hôtel d'Alfonce et la chapelle des Pénitents Noirs (le Théâtre actuel).
Il aimait d'ailleurs sa ville natale d'un amour profond. Il ne laissait passer aucune occasion d'exalter, en des termes d'une affectueuse sympathie, les hommes et les œuvres de Pézenas se signalant à l'attention publique. Il fut mêlé d'ailleurs étroitement ces derniers vingt-cinq ans à la vie même de notre cité.
Nous lui devons le succès à Paris de notre Monument à Molière. Durant quatre années, il prodigua ses démarches auprès des personnalités éminentes de la capitale, conférenciant un peu partout pour remplir l'escarcelle du Comité, et répandant dans maints organes en faveur de ce glorieux projet les ressources de son magnifique talent. Ainsi il honora la petite patrie.
Ses dernières années furent assombries par de graves soucis, par des chagrins, des déceptions. Il les supporta avec la résignation de sa foi chrétienne, avec la dignité qui marqua toute sa vie. Mais elles le conduisirent au tombeau. Le choc suprême lui fut donné, il y a onze mois à peine, quand il vit s'éteindre brusquement sa femme tendrement adorée, qui avait été pour lui son Ange tutélaire, et l'avait soutenu, encouragé dans les dures épreuves qui l'avaient assailli. Jamais on n'avait vu ménage plus uni, époux plus faits l'un pour l'autre. D'une grande distinction d'esprit, écrivain elle-même, auteur de romans, de contes et nouvelles, Madame Ponsonailhe avait été le collaborateur intelligent de l'œuvre de son mari.
Elle lui servait de secrétaire, revoyant tout, classant ses nombreux écrits d'où peut-être, un jour, un ami, dépositaire de ses dernières pensées, sortira quelques joyaux pour en parer éternellement la mémoire de Charles Ponsonailhe.
Le charmant écrivain, pour assurer ses deniers jours, continua à l'Éclair ses brillantes chroniques. Mais il se sentait près de sa fin par ce dernier coup du Destin.
Lorsqu'il vit la mort l'effleurer à son tour, il voulut revenir dans le Midi si cher à son cœur. ses yeux s'emplirent des paysages familiers de son enfance, des rayons de notre soleil qui verse l'ivresse et la guérison mais qui ne pouvait rien sur ce pauvre corps torturé par la souffrance.
Il s'est enfin endormi définitivement dimanche après-midi, entouré d'affection, de parents et d'amis qui le pleurent, dans la pleine lumière de ce délicieux automne, au sein d'une nature radieuse.
Il s'est éteint à l'âge de 60 ans, avec la consolation suprême, la certitude immuable que lui donnait sa croyance d'aller retrouver dans la paix infinie d'un monde meilleur l'âme adorée qui lui avait donné ici-bas son unique joie, son seul bonheur.
Nous l'avons enseveli mardi en terre piscénoise, suivant sa volonté, dans le tombeau familial sur lequel on pourrait graver l'épitaphe de Scarron.
De la vie il n'a connu que la souffrance.
    A.-P. ALLIÈS.



L’Éclair, quotidien paraissant à Montpellier
[ADH, 4mi 186 / R 121]

5 octobre 1915, n° 13874, page 1

Mort de Charles Ponsonailhe
Nous avons le regret d'annoncer la mort de notre excellent ami et collaborateur Charles Ponsonailhe, qui s'est éteint pieusement, avant-hier dimanche, à Servian (Hérault), à l'âge de soixante ans, après une longue et douloureuse maladie.
Charles Ponsonailhe appartenait depuis de longues années à la rédaction parisienne de l'« Eclair ». Ecrivain d'art des plus distingués, il apportait dans les chroniques qu'il nous adressait toutes les semaines ces qualités de critique éclairé, expérimenté, ouvert à toutes les idées et à toutes les formules, sans parti-pris, qui l'avaient fait apprécier dans la grande presse parisienne. Il n'était point de nouveauté qui le rebutât ni d'audace qui l'effrayât. Pendant les quarante années durant lesquelles il eut à donner son sentiment sur les productions artistiques, il vit naître et passer plusieurs écoles qui se flattaient d'apporter du nouveau, et qui en effet en apportaient. Il ne se départit jamais dans ses jugements, rédigés dans un style un peu recherché, mais toujours élégant, de cette bienveillance qui est, comme l'a dit Sainte-Beuve, la condition première de la bonne critique, disant franchement ce qui lui plaisait ou déplaisait, toujours heureux quand il pouvait retrouver et signaler dans les essais nouveaux, mêmes les plus révolutionnaires, la marque, si cachée fût-elle, de la tradition française.
C'est dans cet esprit qu'il rendait compte, ici, de toutes les manifestations de la vie artistique de notre époque, en s'ingéniant, pour intéresser le lecteur, à confronter les œuvre modernes aux œuvres du passé. Mais le meilleur de son temps et de son effort, il le donnait encore à suivre les travaux de nos compatriotes, à les conseiller, à les encourager Du plus illustre au plus humble des artistes de notre région, il n'en est pas un qui lui soit passé inaperçu. Il saluait avec joie les succès de ceux qui triomphaient ; il signalait les progrès de ceux qui montaient ; il soutenait ceux qui luttaient. Ajouterons-nous, pour achever de le peindre, qu'il demeura toujours, dans une carrière où les tentateurs ne manquent pas, probe et désintéressé ?
De cruelles épreuves avaient attristé les derniers jours de notre collaborateur et ami ; elles ont hâté sa fin. Il est mort dans ce Midi où il était né et qu'il aimait, un beau jour de soleil, environné de cette pure lumière que son âme d'artiste chérissait.
Il est demeuré fidèle jusqu'à la fin aux croyances et aux idées de toute sa vie, et cette fidélité, qui ne lui rendit pas la vie facile, nous fera son souvenir plus cher.
    L"« ÉCLAIR »


6 octobre 1915, n° 13875, page 3

PEZENAS. - Obsèques de M. Charles Ponsonailhe. - Les obsèques de notre ami et collaborateur regretté, M. Charles Ponsonailhe, ont eu lieu hier matin, à Pézenas.
Le corps est arrivé, à 10 heures, de Servian, où M. Ponsonailhe était décédé, et c'est à la Croix d'Hiver que s'est formé le cortège pour se rendre à la basilique Saint-Jean où une messe a été célébrée à corps présent.
Le deuil était conduit par M. de Faucher, cousin du défunt, accompagné de M. Albert Paul Alliès, exécuteur testamentaire et ami intime du défunt ; d'autres parents de M. Ponsonailhe suivaient le corbillard : MM. de Marimond, Grasset, conseiller à la Cour d'appel de Montpellier, Mestre-Mel, conseiller à la Cour d'appel de Toulouse, Despetits, Arquinet.
Dans le cortège, figuraient des délégations de l'hospice de Pézenas, la Congrégation des Pénitents Blancs, et de nombreux amis.
L'« Eclair » était représenté par un de ses rédateurs.
Remarqué une couronne de l'Association des anciens élèves du Collège de Pézenas, dont M. Ponsonailhe était président d'honneur, des couronnes offertes par la famille et le journal l'« Eclair », enfin, une belle gerbe de fleurs, offerte par l'hospice à son bienfaiteur.
Des draps d'honneur étaient portés par des religieuses de l'hospice.
Après la messe, le cortège s'est rendu au cimetière, où l'inhumation a eu lieu dans un caveau de famille.
A l'issue de la cérémonie funèbre, M. Alliès a remercié les personnes présentes du dernier hommage rendu par elles au cher disparu et, en termes émus, a rappelé ce que fut M. Ponsonailhe, un homme de caractère, un savant, un artiste qui ne laisse que des regrets.
Qu'il nous soit permis, en nous éloignant de cette tombe où dort son dernier sommeil notre dévoué collaborateur, d'adresse à sa famille nos condoléances émues.



Le Petit Méridional, quotidien paraissant à Montpellier - 6 octobre 1915, n° 14419, page 4 [ADH, 4mi / R 75]

PEZENAS. - Nécrologie. - Nous apprenons le décès de notre très distingué compatriote Charles Ponsonailhe, survenu à la suite d'une longue maladie et du chagrin que lui causa, il y a quelques mois, la mort de sa femme. Rien n'avait pu le consoler, et il avait considéré sa vie comme finie.
D'opinion royaliste, très attaché aussi à ses convictions catholiques, M. Ponsonailhe professait au plus haut degré le culte de la petite patrie. Il lui témoigna son affection en toutes circonstances et fut, notamment à Paris, son représentant le plus actif pour faire aboutir le projet d'un monument à la gloire de Molière, Piscénois. Ses compatriotes, à quelque opinion qu'ils appartinssent, étaient sûrs de trouver toujours auprès de lui un accueil empressé, un homme de bons conseils et d'un dévouement sans limites. Il était foncièrement bon, d'une probité rare, serviable à tous et obligeant.
Il avait fait une partie de ses études au collège de notre ville. Elles furent brillamment couronnées à Toulouse par une thèse de doctorat en droit très remarquée. Ses goûts, servis par un talent d'écrivain qui se révélait en un style impeccable, d'une élégance et d'un charme prenant, le dirigèrent de bonne heure vers la critique d'art. Arsène Houssaye l'accueillit à « L'Artiste », où il lui confia la rédaction du « Salon ». Il écrivit ensuite dans les grandes revues parisiennes et les journaux importants. Il publia tout d'abord un superbe livre consacré au grand peintre de Montpellier : « Sébastien Bourdon », bientôt suivi d'une monographie illustrée sur le sculpteur « Injalbert » et d'ouvrages importants : « Les Cent chefs-d'oeuvre de l'Art religieux, les Saintes par les grands Maîtres » et « l'Année Française : un héros par jour », écrit avec tout son coeur de fervent patriote.
Entre temps, il présentait, chaque année, au Congrès des Sociétés des Beaux-Arts de Paris, une étude inspirée par une oeuvre, un artiste, un souvenir de son pays de l'Hérault.
D'une parole aisée, toujours élégante, il charmait ses auditeurs, notamment en des conférences qui lui valaient de brillants succès.
Ces dernières années, il s'était presque entièrement consacré à sa collaboration à « l'Eclair », où il publiait à peu très toutes les semaines une chronique étincelante, d'un vif intérêt et d'une érudition profonde. L'histoire, les événements du jour étaient pour lui une raison d'évoquer ses souvenirs artistiques, ses relations littéraires et d'entretenir un commerce agréable avec ses lecteurs.
Nous saluons la dépouille de cet honnête homme, qui fut un adversaire loyal, courtois et chevaleresque du régime républicain. Nous déplorons la mort de ce brillant écrivain et de cet excellent compatriote.


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Dernière mise à jour le 9 décembre 2009